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Bernard Ollivier

 

né en 1938 dans la Manche ; vit aujourd'hui dans l'Eure. Puisque son itinéraire depuis le début a choisi les voies de l'inattendu, il a résolu de prendre jusqu'au bout son monde à contre-pied : en décidant l'an passé de partir avec son sac, c'est tout, pour une promenade de quatre ans. Jusqu'à Xian en Chine : 12 000 km de route — de piste surtout, et de mauvais sentiers parfois, quand il est possible de tailler un raccourci par la montagne. Ses (grands) enfants ont un peu cherché à le retenir, pas beaucoup : il a toujours eu la réputation d'un têtu qui ne renonce pas facilement à ce qu'il a décidé. Et puis il est seul à présent, veuf et retraité, mais toujours en attente de quelque chose qui pourrait venir et qu'il serait indigne de manquer. Alors… Fils d'un ouvrier granitier, il arrête l'école à seize ans, tâte d'un peu tous les boulots — terrassier, docker, garçon de restaurant, représentant, professeur de gymnastique —, passe son bac alors qu'il n'est pas loin d'atteindre la trentaine… et décroche dans la foulée (façon de parler) le diplôme de l'Institut de Formation des Journalistes. Comme beaucoup d'autodidactes, c'est un dévoreur de livres (histoire surtout : Braudel est son dieu). Le fils du carrier sera pendant quinze ans un journaliste politique plein de curiosités et de talents (A.C.P., Paris Match, Combat), et pendant quinze ans encore un chroniqueur économique ou social écouté (Première chaîne, Le Figaro, Le Matin) ; c'est aussi un scénariste à l'occasion, qui s'offre même le luxe de quelques succès. D'autres en auraient profité pour s'acheter sur le tard une jolie paire de pantoufles. Sa retraite le rend à la solitude : et à la route, qu'il a toujours pratiquée sans faire de bruit. Tuberculeux à dix-huit ans et craignant d'y laisser la peau (comme un de ses copains d'alors), il pratique le sport avec fureur et y retrouve la santé. Il ne cessera ensuite de trotter, quand son métier lui en laisse le temps : une vingtaine de marathons (dont celui de New York), quelques courses de 100 km, une participation aux « Foulées de la Soie » (de Kashgar à Pékin) et, voici deux ans, à titre de mise en jambes en attendant mieux, une virée jusqu'à Compostelle — 2325 km en trois mois. Il lui arrive aussi d'aider les autres à trotter : il vient de fonder une association (« Seuil ») qui se donne pour but de remettre les jeunes délinquants sur le bon chemin… par la marche ; tout candidat à ce nouveau mode de réinsertion s'engage à accomplir au minimum deux mille kilomètres à pied en pays étranger. De quoi vous changer un bonhomme. Quant à savoir pourquoi lui persiste à aller ainsi, chaque fois un peu plus loin… Il ne sait trop. On lui a posé cent fois la question, elle l'embarrasse toujours. Peut-être a-t-il écrit ce livre pour essayer d'y répondre. Ou pour se convaincre qu'il n'y avait rien à répondre. 

 

 

 

Extraits de "la longue marche" Tome I

 

"Je repense à tous ces Turcs et tous ces Kurdes qui m'ont offert sans compter leur temps, leur soupe et parfois leur lit. Le souvenir de ces gestes fraternels fait battre mon coeur un peu plus vite, et la marche n'y est pour rien. Certes, j'ai vécu des jours sombres depuis mon départ, mais si peu, comparés aux heures belles et claires de cette Turquie que je vais bientôt quitter. Selim, le philosophe ; Mustapha, le bakkal ; Hikmet, l'étudiant ; Shoukrane, l'hôtesse ; Behçet, le vieil intellectuel ; Arif, le paysan et tous les autres, vous êtes mes amis. Des amis rares. Amitiés d'un jour, et pourtant fortes et solides comme si le temps les avait affermies.

 

Je n'avais jamais éprouvé cela auparavant : que l'amitié, l'amour, ne sont pas affaires de temps mais le résultat d'une secrète alchimie, et que l'éternité, non plus, n'est pas une affaire de durée. Tout homme, dit-on, revient changé d'un pèlerinage. Mes amis Kurdes et Turcs,.. je rentrerai... avec votre sourire et votre accolade de l'adieu au fond de moi."

 

                                                                                                                    

                                                                                       Extrait de "Longue marche"

 

 

"Cette Turquie que je vais bientôt quitter m'aura appris la signification d'un des plus beaux mots de sa langue : "misafir". En français aussi, j'aime bien ce mot "hôte"... Mais je crois n'avoir jamais, au cours de mes diverses pérégrinations, rencontré une telle chaleur, un si grand naturel dans l'ouverture de sa maison aux autres qu'en Turquie. Dans les villages, j'ai toujours été frappé que l'orgueil de celui qui reçoit soit partagé par le reste des habitants.

 

Dans nos pays "civilisés", cette notion de l'accueil a été peu a peu oubliée ou pervertie. On reçoit la famille et le cercle étroit des amis. Quant aux autres, il y a des maisons faites pour ça, les hôtels... La porte ouverte, sans espoir de retour ou de bénéfice, sans conditions, n'est plus qu'une survivance rare d'avant la prospérité. La table ouverte pour le plaisir de la découverte, de l'échange et de la conversation est-elle encore possible chez nous ?"

 

                                                                                                  Extrait de "Longue marche"

 

 

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